recueilli le mardi 19-09-2023
paru dans la gazette du Vanneau-Irleau Les Échos de la Rigole N°9, octobre 2023
Il y a quelques semaines, alors que je me rendais au forum des associations dans la salle des fêtes du Vanneau-Irleau, je n’ai pu m’empêcher de repenser à ce que ce lieu représentait pour moi comme pour d’autres personnes de ma génération. Dans les années d’après-guerre, il était le théâtre de notre jeunesse et de notre insouciance enfin retrouvée !
Je m’appelle Thérèse, certains ne me connaissent peut-être pas, mais je connais bien le Vanneau-Irleau ! J’y ai travaillé : d’abord à la mairie, de 1951 à 1955, puis dans l’entreprise Allin jusqu’à ma retraite en 1990. Mieux que ça, à l’exception de trois années passées en pension à Niort au moment de la guerre, je n’ai jamais quitté ce village, ni même la rue de la Belette où je suis née en 1929. Je crois être désormais l’une des doyennes du village, assurément plus âgée que cette chère salle des fêtes, inaugurée en 1931.
La Seconde Guerre mondiale a mis un frein aux manifestations festives du village, à l’exception de quelques pièces de théâtre jouées au profit des prisonniers de guerre en Allemagne à qui l’on envoyait des colis. Dès 1945, le retour à une vie presque normale a favorisé les occasions de nous regrouper entre jeunes gens.
L’association des anciens prisonniers a organisé de nombreux bals, souvent animés par l’Alhambra, un orchestre renommé d’influence espagnole. La fête foraine qu’on nommait « la balade du village » avait également lieu plusieurs fois par an : le lundi de Pâques et le dernier dimanche du mois d’août. Pour cette occasion, le bal ne se déroulait pas dans la salle des fêtes, mais sous un barnum installé à côté de l’église. À l’occasion du bal costumé de la Mi-Carême, nous allions jusqu’à Angers louer nos costumes chez Faucheux, je me souviens avoir revêtu un costume de toréador. Au cours de ces bals, la tradition voulait que les filles attendent d’être invitées par les garçons, sauf au moment de la « java des dames » où elles pouvaient choisir leur cavalier !
À cette époque, nous étions donc toute une troupe de jeunes gens à nous rendre de village en village, à pied ou à vélo, au gré de la programmation des « balades » et des bals. Ces événements nous donnaient l’opportunité d’élargir notre cercle d’amis, à la faveur du rapprochement de certains, contribuant ainsi à l’augmentation du nombre de mariages célébrés au cours de l’année 1948.
Les théâtres animaient fréquemment la vie du village, nous avons joué jusqu’à quatre pièces différentes par an. La salle des fêtes devenait alors le lieu de nos répétitions et représentations. Le prêtre de la paroisse a dirigé quelques-unes de ces pièces, mais le plus souvent, nous devions ces initiatives à l’investissement de l’instituteur Julien R., puis Arsène A. qui lui a succédé, et au concours de la fanfare du Vanneau-Irleau. L’instituteur du village comptait parmi les musiciens, comme mon père, mes frères et bien d’autres hommes du village. Ces représentations théâtrales commençaient toujours en musique, s’ensuivait une première pièce en trois actes, souvent un drame, puis une comédie en un acte. L’entracte était assuré par les jeunes qui racontaient des histoires en patois ou interprétaient des chants, notamment ma cousine Marie-Jo et sa sœur Françoise, sous la direction de leur père Joseph, à la tête de la fanfare pendant cinquante ans.
Nous achetions les livrets des pièces de théâtres, Ces dames aux chapeaux verts, La dépositaire, Les sacrifiés, La bombe atomique dans lesquelles j’ai joué le rôle d’une sœur aînée autoritaire ou celle d’une comptable et bien d’autres encore. Nos mères étaient mises à contribution pour la confection des costumes. J’ai retrouvé des programmes que nous vendions lors des représentations, les premiers étaient conçus de manière artisanale, illustrés d’une photo découpée dans un catalogue, plus tard ils ont été confiés à une imprimerie.
Grâce aux bénéfices générés par ces représentations, l’instituteur organisait un voyage au profit des jeunes gens du village. C’est ainsi que nous sommes allés dans le Lot, visiter Rocamadour et le gouffre de Padirac ou encore en Bretagne ou au Pays-Basque. Nous avions toujours le même chauffeur de bus : Marius, de la société de transport Turpeau de Champdeniers. Ces voyages étaient l’occasion de vivre de belles expériences parfois insolites, comme lors de ce trajet pour la Savoie : Arsène avait réservé une nuit étape à Nantua, mais un contretemps nous a obligés à trouver une solution de secours. C’est ainsi que nous avons passé la nuit à l’étage d’une grange pour dormir dans le foin !
La fanfare, qui a fêté ses cent ans en 1981, a été à l’initiative de beaucoup des évènements de cette époque d’après-guerre, comme celui de notre participation au défilé du carnaval de La Rochelle en 1954. Des anciens du village nous avaient enseigné les pas de danses folkloriques : la polka, la mazurka ou le Quadrille des Lanciers. C’est ainsi que vêtus d’habits traditionnels maraîchins, coiffes blanches et robes brodées pour les filles, chapeaux et blouses pour les garçons, nous avons dansé le Quadrille des Lanciers accompagnés par la fanfare du Vanneau-Irleau.
Progressivement les manifestations se sont faites de plus en plus rares : l’exode rural a poussé certains jeunes vers les grandes villes, en quête d’un travail ou d’études. Je crois que l’arrivée de la télévision dans les foyers a également joué un rôle dans la baisse de l’investissement pour la vie du village. Ce n’est pas sans un peu de nostalgie que je me remémore cette époque où je baignais dans cette atmosphère musicale, théâtrale et festive et où après la guerre, nous ressentions un réel besoin de nous réunir et nous divertir.