recueilli le mercredi 13 décembre 2023 et paru dans la gazette du Vanneau-Irleau Les échos de la rigole n°10, mars 2024
J’avais un peu plus de six ans en 1935 quand j’ai fait ma première rentrée scolaire à l’école élémentaire du Vanneau. Il existait deux écoles au Vanneau et deux autres à Irleau, je suis allée à celle des filles, à l’emplacement du groupe scolaire actuel, tandis que celle des garçons se situait derrière la mairie, dans le bâtiment devenu la salle des mariages. J’ai eu le privilège, en tant qu’aînée de ma fratrie, que papa m’apprenne à lire avant même d’entrer à l’école, il n’a pas eu la même disponibilité par la suite, pour mes douze frères et sœurs.
Nous étions une trentaine d’élèves dans la classe et ma maîtresse avait la lourde tâche d’enseigner à sept niveaux en même temps : le cours préparatoire, deux niveaux de cours élémentaires, deux de cours moyen et deux années de fin d’études. Comment pouvait-elle faire ? Je me le demande encore. Une chose est certaine : il n’y avait aucun chahut dans la classe ! Notre maîtresse était sévère mais juste ce qu’il faut. Chaque matin, dès qu’elle arrivait dans la cour, nous nous mettions spontanément en rang sous le préau. À son signal : nous entrions dans la classe en silence.
Tous les lundis, nous commencions avec l’analyse d’une phrase écrite au tableau ; nous devions retrouver le verbe, le sujet et le complément. Nous n’avions pas classe le jeudi mais le samedi toute la journée ! Les vacances d’été débutaient avec la fête du 14 Juillet pour se terminer le 30 septembre, permettant ainsi aux enfants des campagnes d’aider leurs parents. Je n’échappais pas à la règle !
Comme beaucoup d’habitants du Marais, mes parents faisaient vivre notre famille grâce au cumul de plusieurs activités. Mon père était mécanicien, il avait son propre garage, tout en élevant douze vaches laitières, cultivant trois vignes et faisant du foin. Ma mère travaillait dans les différents potagers que nous possédions, s’occupait de nous bien sûr, mais aussi de l’entretien du linge, de la préparation des repas pour une grande tablée de quinze personnes, sans compter les quatre couverts supplémentaires du midi : Paul l’ouvrier agricole ainsi qu’un salarié du garage de mon père et pendant la guerre : deux ouvriers allemands.
En juillet, mes sœurs et moi allions à vélo jusqu’à Sansais pour aider Paul à préparer les tas de foin : les « meulons ». Ah ça, on en a fait des meulons ! Plusieurs jours de suite chaque été ! Il faisait parfois très chaud et nous espérions terminer pour midi. Mon oncle, nous prêtait son cheval de trait pour tirer la râteleuse qui permettait de rassembler le foin en bandes. Paul conduisait le cheval, mes sœurs et moi le suivions pour constituer les meulons à l’aide de nos fourches. Il fallait ensuite les charger dans la charrette, bien équilibrer le tout pour en faire tenir le maximum sans en perdre sur la route, décharger le foin à la ferme et faire une chaîne pour le ranger en hauteur dans les granges, à l’abri des inondations ; pendant l’hiver, ce foin servait à nourrir les vaches rentrées à l’étable.
Les journées chaudes étaient l’occasion de nous baigner dans la corde de la Belette, au pied de la maison et de nager jusqu’au port. L’eau était bien plus claire que maintenant, et pourtant : le liquide du fumier de chacune des fermes se déversait dedans ! Comme bien d’autres enfants, j’ai appris à nager au petit port de la Belette, là où existait un passe-bateau. Habiter au bord des conches représentait un risque, les parents espéraient dissuader leurs enfants de s’approcher de l’eau en leur racontant la légende du Bras Rouge : un personnage maléfique vivant au fond de la rivière sortait son bras ensanglanté de l’eau pour attraper les enfants qui s’approchaient trop près du bord et les entraîner au fond de l’eau ! Cette légende n’a malheureusement pas suffi à éviter certains drames.
Nous emmenions quelquefois des personnes sur l’eau pour visiter le Marais, mais le bateau était avant tout un moyen de transport. Pendant nos congés scolaires, mon père nous réveillait à 5 heures du matin pour aller traire les vaches dans les marais. Je nous revois encore avec mes sœurs : sauter dans nos vêtements quand mon père nous appelait, descendre le rejoindre au bord de l’eau avec seaux et bidons et hop ! monter comme ça dans le bateau sans même déjeuner ! Chacun équipé d’une pelle, nous ramions jusqu’à la grande rigole de la Garette où nous avions un grand marais, parfois moins loin, puisqu’entre les mois d’avril et d’octobre, les vaches étaient déplacées d’un marais à l’autre.
Il ne fallait pas traîner pour rentrer de la traite avant le passage du laitier à 7H30 ! Il livrait le lait à la laiterie d’Irleau qui produisait notamment du beurre. Évidemment, le soir nous repartions pour la deuxième traite. Mes parents possédaient des vignes du côté de Saint-Georges-de-Rex. Non seulement en septembre nous participions aux vendanges, mais également au désherbage entre les rangs. Mon père conduisait un engin tracté par notre bœuf que je guidais. J’aidais également ma mère qui avait tant à faire à la maison !
L’année de mes onze ans, nous étions sept filles de la classe à nous présenter pour le certificat d’études, nous l’avons toutes eu ! Les épreuves concernaient plusieurs matières : lecture, écriture, calcul, histoire, géographie et sciences appliquées. Un de mes oncles nous avait emmenées en voiture à Frontenay-Rohan-Rohan où se déroulaient les épreuves, le soir c’est en charrette que nous étions toutes rentrées. J’ai poursuivi une année de plus à l’école du Vanneau, il m’arrivait d’aider ma maîtresse en m’occupant des plus jeunes élèves de la classe. L’année suivante, je suis entrée en cinquième à l’école Saint-André à Niort, je n’ai pas pu aller en quatrième, car je devais laisser ma place à ma sœur qui a fait de même l’année suivante. Les études terminées, j’ai alors secondé ma mère dans toutes les tâches domestiques avant de partir à Bordeaux pendant trois ans, accompagner l’une de mes sœurs souffrante et accueillie dans un service hospitalier.
J’ai eu la chance de grandir dans une ambiance sereine et dans un cadre magnifique. Consacrer mon temps à ma famille comme aux tâches domestiques ou aux travaux agricoles m’a toujours paru naturel. Comme beaucoup d’enfants du village qui en sont partis pour aller travailler, je suis revenue y vivre avec Henri, mon mari, afin d’y retrouver la quiétude du Marais qui m’était si chère.