Extrait de l’entretien
— Est-ce que le fait d’avoir effectué beaucoup de voyages à l’étranger vous a apporté davantage que des vacances passées en France ?
— Oui, rester en France m’aurait incitée à ne pas sortir de ma zone de confort, j’aime être déstabilisée. Quand je suis dans un endroit où je suis obligée de m’exprimer dans une langue qui n’est pas la mienne, ça m’oblige à prendre mon courage à deux mains, à combattre d’éventuels blocages qui seraient de l’ordre de la timidité. Je ne me bloque pas en me disant : « Est-ce qu’il va comprendre ce que je lui dis ? », « Est-ce que ce que je dis est incompréhensible ? »
— Est-ce que cela a eu une incidence sur votre vie ?
— Oui, je n’ai jamais d’appréhension pour m’adresser à quelqu’un de nouveau, j’ose plus, ça fait également de moi une personne plus curieuse et à l’aise dans n’importe quelle situation. Les voyages ont fait de moi la personne que je suis, notamment dans le fait de ne pas avoir peur de me retrouver dans une situation que je ne contrôle pas. Je crois que je contrôle tout, toute l’année, j’anticipe beaucoup, je gère, je ne suis pas une suiveuse, je manage. Je crois que les vacances me permettent de lâcher prise. Je n’avais jamais réalisé avant, mais en repensant à toutes mes vacances, ça me fait réaliser qu’il y a toujours eu le même dénominateur commun, quel que soit le pays : j’ai besoin de lâcher prise et de ne plus être dans le contrôle.
— Est-ce que vous aimeriez vivre à l’étranger ?
— Alors ça non, ça ne m’a même jamais traversé l’esprit.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai clairement besoin de voir ma famille, je dois être à un endroit où je peux juste monter dans ma voiture et aller rendre visite à ma famille.
— Quels sont pour vous les ingrédients d’un bon voyage ?
— Les compagnons de voyage : il ne suffit pas de faire des choses extraordinaires, si c’est avec des gens avec qui je ne m’entends pas, ça va être long je pense. Et ensuite toujours la même chose : à partir du moment où je sais que j’ai un toit sur la tête pour dormir le soir, j’aime ne pas prévoir, c’est le côté lâcher-prise. Une dernière chose, c’est aussi le fait de ne pas regarder ma montre. Pour moi le temps, c’est quelque chose qu’on a inventé, c’est pas naturel et du coup je ne me reconnecte pas à mes besoins quand je regarde une montre.
— Comment préparez-vous vos voyages ?
— Je ne pars pas du jour au lendemain : je sais qu’il y a des choses à voir là où je me rends, j’essaie de caler ces visites dans mon séjour, mais ce n’est pas grave si je ne vois pas tout ce que je sais qui est à voir.
— Est-ce que vous souhaitez faire un jour un long voyage de plusieurs mois ?
— Non, je pense que je suis une personnalité qui a besoin de stabilité et surtout je préfère largement mener ma petite vie tous les jours, avoir ma routine vraiment stable et savoir que j’ai le luxe de partir trois semaines à un moment où je l’ai décidé, plutôt que partir six mois. J’aurais peur que tout ce que j’aime dans le voyage ne devienne une routine. J’ai vraiment besoin de sentir cette différence entre travail et voyage.
Extrait du texte rédigé
[…] Avoir un ou des compagnons de voyage avec qui partager ces temps forts est primordial. C’est sans doute pour cette raison que je ne souhaite pas voyager seule. Je n’ai pas plus l’envie de vivre à l’étranger, j’ai besoin de pouvoir partager des temps avec mes proches régulièrement et, par conséquent, de limiter la distance qui me sépare d’eux. Je n’ai pas non plus l’intention d’effectuer un voyage qui durerait plusieurs mois. J’aurais la crainte qu’un long séjour devienne une routine, j’aurais le sentiment de perdre le bénéfice que m’apportent ces parenthèses régulières. Je préfère avoir ma routine dans mon quotidien et savoir que de temps à autre je peux avoir un autre rythme. L’alternance entre vacances et vie quotidienne m’a permis de trouver l’équilibre qui me convient, elle répond à mon besoin de changement et de nouveauté.
Je crois que le fait d’être partie souvent à l’étranger depuis mon enfance m’a permis de développer ma confiance. J’ose parler à quelqu’un que je ne connais pas, y compris dans une langue que je ne maîtrise pas complètement, sans craindre d’être ridicule ou incomprise. Les voyages ont développé ma curiosité et ma capacité à m’ouvrir au monde. Ils m’ont apporté un bagage indispensable à ma vie d’adulte : celui de m’adapter à beaucoup de situations.
J’attends des vacances qu’elles me bousculent dans mes automatismes, qu’elles me dépaysent et me fassent découvrir d’autres manières de vivre, qu’elles me déstabilisent. Cela se traduit notamment par le fait de baigner dans un milieu où la langue n’est pas ma langue maternelle. J’ai besoin de me mettre dans des situations où je ne regarde pas ma montre, où je n’ai plus à prévoir et où je ne sais pas ce qui va se produire, tant que j’ai un toit pour dormir. Les vacances sont pour moi l’occasion de profiter pleinement d’une ambiance, d’un lieu, de l’instant présent. C’est un répit nécessaire. Dans mon quotidien, j’ai tendance à garder le contrôle sur ce que je fais, à beaucoup anticiper, je gère, je ne suis pas une suiveuse mais plutôt celle qui manage. Ma profession d’avocate renforce cette manière de fonctionner, je ne peux pas laisser beaucoup de place au hasard dans l’exercice de mon métier.
Ce voyage dans mon passé, jalonné par de nombreuses escales, me fait prendre conscience qu’il existe un dénominateur commun à toutes mes expériences de vacances : l’envie irrépressible de sortir de ma zone de confort, de lâcher prise pour ne plus être dans le contrôle. Je ressens le besoin de me connecter à moi-même. Chacun de mes envols m’a ramenée au point de départ. Je ne peux concevoir mes voyages sans billet retour, car découvrir le monde n’a de sens que si je reviens à ce qui m’est essentiel.
« Certains pensent qu’ils font un voyage, en fait,
c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »
Nicolas Bouvier